Laissez-nous regarder notre télé en paix !

[ Histoires ]


Il fut un temps heureux où nous pouvions regarder la télé en paix. On avait la couler, la télécommande, les transistors avaient remplacé les ampoules, les écrans bombés étaient devenus plat, la profondeur des appareils avait été un peu réduite, on pouvait choisir entre 5-6 programmes, le double près d'une frontière; la qualité de l'image dépendait de la somme investie dans l'antenne sur les toit.

( Les habitants d'immeubles étaient exemptés de problèmes d'antennes, et soumis, en revanche, au chantage de la double redevance ).

Au grand dam des fabricants et revendeurs, un appareil TV pouvait durer dix ans avant de rendre l'âme.
Il fallait absolument "innover" pour obliger les gens à changer d'appareil.

Fini la paix ! On a commencé en changeant le format de l'écran : "16 : 9 ", martelait la publicité, " pour voir les films en cinérama ou cinémascope sans ces fastidieuses bandes noires en haut et en bas de l'image ".
Les émissions, elles, n'avaient pas le nouveau format; aujourd'hui encore la tête des personnages gonfle ou rétrécit en fonction du programme.

Puis on a soufflé dans les trompettes du "numérique", TNT pour les élus. On nous promettait des dizaines et dizaines de canaux de TV et radio.
Les communes ont volé au secours d'utilisateurs désorientés ou qui ne pouvaient pas payer les 30 € d'un décodeur.
Les installateurs se sont rempli les poches avec des nouvelles antennes et en ajoutant un câble "péritel" (au prix de l'or) chez les vieux et les timides.

Résultat : le 6 canaux suisses dont nous jouissions (2 pour la Suisse Romande, 2 pour la Suisse Alémanique et 2 pour le Tessin) se sont trouvé réduits à 2 pendant la période de transition, pour finir à 4 avec la TNT en fonction - un gain révolutionnaire !

Arte et France 5 ont disparu pendant un-deux ans, jusqu'à que la TNT arrive dans l'Ain; quant aux radios, tintin.
Dans quelques pays, comme en France, le nombre de canaux a effectivement augmenté, mais la qualité de nouveaux programmes est pour le moins discutable.

À ce stade, la plupart des utilisateurs avaient déjà changé leurs postes pour de téléviseurs LCD (sic); il fallait inventer autre chose que la TNT pour relancer les ventes.

Et voila la campagne HD, "haute définition" s'il vous plait, avec en bonus les petite tromperies permises par l'ignorance de l'acheteur : quasi-HD (?), HD ready (?), full HD, etc.

La vague de la haute définition était encore active, que l'on s'est trouvé confronté à un autre choix machiavélique : LED ou pas LED ?
Et puis, LED sur le côté, en haut, en bas, partout derrière ? Qui sait.

Les écrans sont devenus très, très minces : on pourrait les accrocher au mur !
Oui, mais voila : les câbles et les haut-parleurs se trouvent coincés dans un interstice de 6 cm; le support mural, un petit tas de ferraille, est proposé à des prix pouvant atteindre 1/3 du prix du poste - les installateurs exultent.

Il reste à écouler les appareils sans LED, dits LCD tout court.
La tâche est confiée aux vendeurs plus habiles dans l'exploitation de la naïveté du client, ou à des opérations de vente à prix cassé.

La paix, enfin ? Que nenni ! D'abord il faut songer à changer les appareils périphériques, enregistreurs etc., car les anciennes prises, péritel en tête, ont disparu, et puis, voici le…

…Le 3D ! On peut payer le double du prix pour avoir un téléviseur "en trois dimensions" et épater les copains!
Pour les émissions il faudra repasser, mais on peut s'offrir quelque DVD, à regarder avec des lunettes spéciales, rouge-vertes ou radiocommandées (ne cherchez plus à comprendre, cela devient vraiment trop difficile).

Vous dites? Vous portez des lunettes de vue ?
Voyons, vous n'avez qu'à adopter de verres de contact, ou vous faire entailler les yeux au laser, pour goûter pleinement aux joies du 3D.

Ah, n'oubliez pas les haut-parleurs disséminés dans la pièce (système 5.1 - j'imagine que cela signifie 5 HP moyens plus un très gros), un ampli de discothèque, et naturellement une grande salle dédiée à la télé.

Peut importe si les invités mangent à la cuisine : ils vont être éblouis par avec votre équipement té-lé-visio-nnaire.

Le plus étonnant est que les sociétés de télévision, souvent publiques, en tout cas européennes, se prêtent à ce jeu de fuite en avant, qui avantage surtout quelques fabricants asiatiques et les revendeurs.








 

© F. S.   || 4.08. 2011